FONDATION DU PRIEURE DE SAINT PERN

Accueil       

Chartes Inédites des XI et XII siècle

 

 

Autre document :

Article de Patrick Souben et Michel Brand'honneur

Les enjeux de pouvoir autour de l'ancien domaine monastique carolingien de Saint-Bern.

- Tensions autour de la restitution du sanctuaire de Saint Pern.

- Le château de la Tour et ses enjeux de pouvoirs.

- Plouasne - Bécherel

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Les seigneurs qui faisaient au XI siècle des fondations pieuses ne songeaient par là qu'à procurer à leur âme la vie éternelle en l'autre monde. Du même coup, sans y songer, Ils ont trouvé le moyen de perpétuer en ce monde-ci, autant que cela est donné à l'homme, leur nom et leur mémoire. Des faits et des écrits de cet âge lointain rien n'a surnagé que par les clercs et les églises, surtout par les monastères et par les moines. Et les moines avant pris un coin spécial pour préserver la mémoire des donations à eux faites ainsi que celle des donateurs, les familles issues de ceux-ci sont à peu près les seules qui puissent aujour­d'hui reconnaître leurs auteurs dans cette haute antiquité.

Encore faut-il y regarder de très près, ou l'on risque de s'égarer sur une fausse piste et de prendre, comme on dit, martre pour renard. Ainsi est-il advenu à un collaborateur de la nouvelle édition du Dictionnaire de Bretagne d'Ogée qui, à l'article Saint-Pern, a voulu indiquer l'origine de la vieille famille bretonne connue sous ce nom, bien souvent nommée dans notre histoire, illustrée, entre autres, par ce vaillant capitaine qui, de concert avec le Boiteux de Penhoët et Bertrand du Guesclin, dirigea la glorieuse résistance de Rennes contre le duc de Lancastre, en 1368-1357.

C'est ce qui nous a décidé à publier les sept actes ci-dessous, d'ailleurs fort curieux, dont six du XI siècle, un du XII, et tous, sauf un, inédits.

Nous les tirons de la copie faite au XVIIsiècle par les Bénédictins Bretons sur le Cartulaire de Saint-Nicolas d'Angers, et présentement conservée aux Manuscrits de la BIBLIOTHQUE Nationale, collection des Blancs-Manteaux,

 Malheureusement, pour plusieurs de ces pièces, cette copie n'est qu'un extrait, le transcripteur a remplacé par des etc. les clauses qu'il lui a plu de supprimer. Nous avons reproduit - ne pouvant faire mieux - ces etc., mais nous tenons à prévenir le lecteur que les suppressions ainsi indiquées ne sont point de notre fait et que nous imprimons exactement tout le texte donné par les Blancs-Manteaux. Nous avons même cru devoir rééditer un acte publié par dom Morice (n° VI ci-dessous), parce qu'il est Indispensable pour faire comprendre l'erreur commise par le collaborateur du Dictionnaire d'Ogée.

Nous allons analyser les pièces publiées ci-dessous, dont les dates sont Justifiées dans les notes jointes à chacune d'elles.

I. --Vers l'an 1050, un chevalier du nom de Quirmarhoc, et sa femme Rotrouce (Rotrucia) donnèrent à l'abbaye de saint ­Nicolas d'Angers l'église de Saint-Pern (ecclesiam Sancti Paterni) avec un grand terrain à l'entour clos par des fossés, et qui, bien qu'on ne lui donne pas ce nom explicitement, devait être un de ces cimetières de vaste étendue où, sous l'égide du droit d'asile, les vivants venaient souvent habiter et prendre un refuge contre les entreprises de la violence. La donation de Quirmarhoc comprenait de plus une terre considérable, de la contenance de deux charruées et demie, ce qui représente environ quarante-trois à quarante-cinq hectares. -- Peu de temps après, l'abbé de Saint-Nicolas, appelé Arraud, vint en Bretagne et passa les fêtes de Noël à Saint-Pern. Ce fut un événement pour le pays : Quirmarhoc, ses chevaliers (cum suis mililibus), sa famille, et la vicomtesse de Dol elle-même, mère de Rivallon, sire de Combour, se rendirent à Saint-Pern pour assister aux offices célébrés solennellement par ce prélat. Les deux premiers jours de cette grande fête furent donnés exclusi­vement à la piété. Le troisième, Quirmarhoc vint rendre visite à l'abbé logé au prieuré et, séduit par son aménité, il ajouta à sa première donation un trait de dîme, une place à bâtir moulin

dans une roseraie, et la moitié du produit de ses propres pêcheries. - Cet acte est le plus ancien où il soit question de l'église de Saint-Pern, qui n'était encore qu'une trêve ou succursale de Plouasne (voir ci-dessous n° VII), située dans le diocèse d'Aleth (plus tard Saint-Malo), et qui est aujourd'hui une commune du canton de Bécherel, arrondissement de Montfort, département d'Ille et-Vilaine.

II. (vers 1050). - Très peu de temps après, un prêtre et plu­sieurs laïques, possesseurs des dînes ecclésiastiques dépendantes de l'église de Saint-Pern, les donnèrent aux moines de Saint­ Nicolas charges du services de cette église. Les plus notables de ces donateurs sont Josselin de Dinan et son frère Rivallon, seigneur de Combour, dit Rivallon de Dol.

III (1062 à 1080). - Quirmarhoc, fidèle jusqu'à la fin à l'esprit de sa fondation, s'était fait enterrer au prieuré de Saint-Pern, et avant de mourir il avait anathématisé quiconque prétendrait ôter aux moines de Saint -Nicolas les biens dont Il les avait dotés (voir n° I, vers la fin). Cet anathème n’empêcha pas l'un de ses fils, appelé Brient, de molester les moines au point de leur faire abandonner le prieuré de Saint-Pern. Mais, au bout de quelques années, Brient et son frère Ginguenoc ou Gingnenou (Guingue­nocus) firent prier l'abbé de Saint-Nicolas d'Angers de leur envoyer de nouveau quelques-uns de ses religieux, auxquels ils promirent de rendre tous les biens attribués au prieuré. L'abbé Hamon vint lui-même à Saint-Pern à cette occasion, et l'acte constatant cette reprise de possession fut dressé en sa présence dans la maison de Guinguenou, avec l'assentiment de ses fils Guillaume, Hingant et Mainfinit. La rôle principal joué en cette circonstance par Guinguenou, doit le faire considérer comme l'ainé des deux fils de Quirmarhoc.

IV (1080 à 1096). - On connaît mal la postérité de Brient, quoiqu'on puisse lui attribuer pour fils un personnage mentionné dans notre n° VI (voir ci-dessous l'analyse de cette pièce). Quant à Ginguenou, il eut au moins quatre fils, Guillaume, Hingant, Mainfinit, Auger, et une fille dite Origon, mariée à Odon fils de Judicaël. Nous trouvons ces cinq enfants nommés dans notre n° IV, relatant une donation faite par Guillaume aux moines de Saint-Nicolas à l'occasion de l’entrée en religion du son frère

Hingant. qui parait avoir eu lieu dans l'église de Saint-Pern donation comprenant un moulin à Saint-Pern, une certaine étendue, de terre prés de l'église, un pré, etc. Cet acte nomme aussi la mère de tous ces enfants, la veuve de Ginguenou encore vivante à ce moment : elle s'appelait Piris, enfin Guillaume figure là clairement comme l'aine de la famille : c'est lui qui dote son frère entrant en religion, lui qui possède le fief où est située l'église de Saint-Pern, lui seul aussi qui es trouve désigné par un nom patronymique ; mais ce nom n'est point Saint-Pern on l'appelle Willelmus de Ploasnio ou de Ploasno, Guillaume de Plouasne. Nous tâcherons tout à l’heure d'expliquer ce nom.

V (1080-1096). - Vers le même temps, les moines de Saint­ Nicolas achetèrent un champ et un courtil situés à Saint-Pern d'un certain Guillaume Grannart qui avait trois !rires : Tébaud, Robert, Quirmarhoc. Les deux premiers consentirent facilement à celle vente. Quirmarhoc s'y opposa et voulut en empêcher l'effet. Les moines furent obligés de faire venir d'Angers leur abbé. qui alors s'appelait Noël, pour plaider contre Quirmarhoc devant le tribunal du seigneur de Saint-Pern, Guillaume de Plouasne, moyennant une somme d'argent que l'abbé donna au récalcitrant, l'affaire s'arrangea. Mais notez ce Quirmarhoc, frère de Grannart, car nous verrons tout à l'heure que, mort ou vif, il était prédestiné à mettre le trouble partout.

VI  ( 1080 à 1096 )- Guillaume de Plouasne, comme seigneur de Saint-Pern, possédait tous les droits féodaux sur le moulin de Saint-Pern donné par lui (suivant le n° IV ci-dessus) aux moines de Saint-Nicolas. Mais il en partageait la propriété avec un des vassaux, ce Guillaume Grannart dont on vient da parler. Par la donation portée en notre  IV, les moines avaient été investis de l'autre moitié de la propriété ainsi que des droits féodaux. Grannart ayant eu besoin d'argent leur engagea sa part de propriété ; puis, pour aider l'un de ses frères (Tébaud) qui avait pris la croix et voulait aller en Palestine, il la leur vendit définitivement, et les moines restèrent ainsi seuls maîtres  du moulin. Le   terrible Quirmarhoc, frère de Grannart, n’était plus là pour faire des difficultés; Il avait laissé un fils, Bresel ou Bressel, qui consentit de bonne grâce à cette vente. Mais ce Quirmarhoc a causé la méprise du

collaborateur du Dictionnaire d'Ogèe, qui l'a confondu avec le chevalier de même nom fondateur du prieuré, et qui a voulu voir en lui et en son fils Bresel les deux premiers seigneurs de Saint-Pern. Erreur insoutenable, car nos deux acte. V et VI prouvent clairement que le Quirmarhoc père de Bresel  était le frère de Grannart, et celui-ci le vassal de Guillaume de Plouasne , véritable seigneur de Saint-Pern et petit-fils du Quirmarhoc fon­dateur du prieuré.

Mais pourquoi ce seigneur porte-t-il ici le nom de Plouasne? D'après la charte nVII,dont nous parlerons tout à l'heure, l'église de Saint-Pern jusqu'en 1149 n'était qu'une trêve, ou succursale dépendant évidemment de la vaste paroisse de Plouasne dont le ter­ritoire l'enveloppe encore aujourd'hui de trois côtés. Nul doute que les possessions de Quirmarhoc, fondateur du prieuré, et celles de ses descendants ne s'étendissent à la fois en Saint-Pern et Plouasne, et l'on s'explique qu'ils aient pris pour nom patrony­mique celui de ces deux noms qui s'appliquait à un territoire plus important, c'est-à-dire le dernier. Plus tard, par des circonstances que nous ignorons, la famille s'étant trouvée réduite à ses pos­sessions de Saint-Pern, se fixa définitivement à ce dernier nom. - Notez que dans notre acte n° VI, à côté de Guillaume de Plouasne nous trouvons un Bili de Plouasne qui doit appartenir à la même famille, qui ne peut cependant être rangé parmi les enfants de Ginguenou, et dans lequel il y a lieu de voir dès lors un fils de Brient frère de Ginguenou.

VII (1149). - Reste à dire quelques mots de notre dernière pièce. C'est une ordonnance épiscopale émanant de saint Jean de la Grille, qui venait de transférer d'Aleth à Saint-Malo le siège de son évêché. Les formules sont curieuses: « Quia genera­tio preterit et generatio advenit, terra vero in reternam stat. » Et un peu plus loin, en parlant de la dignité épiscopale : « Pon­tificalis culminis clementire convenit. » L'objet de cet acte. adressé à Barthélemy, abbé de Saint-Nicolas d'Angers est de confirmer ce monastère dans la possession de l'église de Saint­-Pern et de conférer à celle-ci les privilèges des églises matrices,

-

recevant la visite épiscopale (synodales et matrices ecclesiae), où tous les sacrements sont administrés, entre autres le baptême, l’extrême-onction, et qui participent par conséquent à la distribution du saint chrême. Donc. avant cette ordonnance Saint-Pern n'était qu'une succursale, dépendant. comme Bécherel , à la même époque, de la vaste paroisse de Plouasne.

Au demeurant, en ce qui touche les seigneurs primitifs de Plouasne-Saint-Pern, les actes publiés ci-dessous nous font con­naître trois générations, toutes trois du XI° siècle:

1° QUIRMARHOC, fondateur du prieuré, et Rotrouce,sa femme ;

2° Leurs enfants  : Guinguenou marié à Piris, et Brient ;

3° Enfants de Ginguenou et de Piris, savoir : Guillaume  de Plouasne, Hingant, moine de Saint-Nicolas d'Angers, Mainfinit, Anger, Origon (fille), mariée à Odon fils de Judicaël ;

3° bis, Bill de Plouasne, fils de Brient.

 

Suit le texte des pièces.

ARTHUR De LA B0RDERIE.

1 C'est  là l'orthographe la plus fréquente de ce nom dans les actes ci-dessous, toutefois on le  trouve aussi écrit Quinmarhoc. Quinmarohoc et Quirmarhoc . Sans en rechercher la signification, ou peut du moins lui assigner  une origine bretonne, marhoc on marhec étant un mot breton dérivé de marc’h ,cheval, et qui signifie cavalier ou chevalier.