Voici un épisode de la vie Dinannaise  décrit par François AUBRY dans un article paru dans " Le pays de Dinan" année 1988. Cet article a un intérêt pour moi puisqu'il met en avant deux personnages que je rencontre dans ma généalogie : Denoual et Coupé. Un article de ANNEDUPORTAL présent sur ce site, fait la description de la famille Coupé, que l'on rencontre autour de Dinan et Tinténiac. Celle-ci a d'ailleurs plusieurs alliance avec les Denoual.

Cet épisode fait aussi référence à des événements plus généraux qui se sont déroulés à Dinan durant cette période : "les trente- et- un". Un lien renvoie à l'article d'Antoine Dupuy sur ces évènements paru dans "Mémoires de la société archéologique d'Ille et Vilaine", année 1883 .

 

 

Denoual contre Coupé

Le mardi 13 janvier 1777, vers dix heures du matin, un homme entre dans la salle de l'auditoire de la Juridiction Royale de Hédé, sise au bourg de ce nom, paroisse de Bazouges, évêché de Rennes. où siège David Charles MOREL, Sénéchal, seul Juge Civil et criminel de ce tribunal, assisté de René Antoine Binet de La Motte, régisseur ordinaire du greffe. L'homme est de taille moyenne, ayant barbe et cheveux blonds. Il est sobrement mais élégamment vêtu d'une redingote de drap bleu, galonnée d'une tresse d'or, et tient un chapeau noir à la main.

Sur la demande du Sénéchal, après avoir, la main levée, promis et juré de dire la vérité, l'homme déclare avoir nom Jean François Marie  Marguerite Vincent Thomas Coupé de la Fougerais, âgé de cinquante et un ans, être ancien maire de Dinan, y demeurer place du Champ, paroisse Saint-Sauveur, évêché de Saint-Malo, et comparaître pour être entendu au sujet d'une plainte portée contre lui par Maître Auguste Denoual des Mettries.

Qui est donc Maître Denoua! ?Quels sont les motifs de sa plainte et qu'a donc fait Coupé? Quels torts peut avoir un notable si honorablement connu? Sa faute est-elle si grave qu'elle nécessite une plainte en justice.

Cette affaire n’aurait-elle pu se régler à l'amiable, en toute bonne foi? Et puisque justice il y a, pourquoi Maître Denoual a-t-il saisi la juridiction royale de Hédé, alors que Coupé est normalement justiciable  de celle de Dinan?

 

Pour répondre à toutes ces questions, il est nécessaire de remonter quelque temps en arrière, et, puisque Coupé de La Fougerais a été maire de Dinan du 20 janvier 1766 au 19 janvier 1768, d'examiner la situation de la municipalité à cette époque.

 

Organisation municipale de Dinan

 

Certes, depuis les lettres patentes du roi Louis XIII octroyant, en février 1619, aux nobles bourgeois, manants et habitants de Dinan, permission de s'assembler en corps de ville politique, il y a eu bien des remaniements et des modifications. Comment cela se présente-t-il en ce dernier quart du xvllle siècle? 

A la tête de l'administration se trouvent plusieurs officiers : le Maire, le lieutenant du Maire, le Miseur (ou trésorier) et le Procureur du Roi. Tous sont élus par l'Assemblée Générale pour deux ans, à l'exception du Miseur qui a acquis sa charge. Cependant la liberté du choix du Maire est très réduite : ne peut être élu qu'un ancien Maire ou ancien économe de l'hôpital ayant rendu son compte de manière satisfaisante, et faisant partie d'une liste de trois noms pro­posée par la communauté et agréée par l'Intendant de Bretagne. Si l'un des sujets proposés est décédé dans l'intervalle, et qu'un autre demande de ne pas voter pour lui en raison de son âge et de son état de santé, quelle possibilité reste-t-il aux électeurs?

Ces quatre Officiers forment la base de la Communauté ou corps de ville, qui comprend également de droit les anciens maires. Pour compléter le nombre de vingt-quatre membres, l'Assemblée Générale élit des assesseurs, dont l'un remplit les fonctions de greffier. La Communauté se réunit dans un petit appartement situé sous l'une des voûtes de la Tour de l'Horloge et est chargée de l'expédition des affaires courantes.

 

Vient enfin à la base de la pyramide, l'Assemblée Générale qui se compose du Maire et des membres de la Communauté en exercice, des personnes qui remplissent quelque charge municipale, de tous les notables exerçant quelque profession scientifique, art libéral ou vivant de leurs rentes, et enfin d'un député par chaque corps de métier ayant maîtrise. Les réunions sur convocation par la communauté sont annon­cées à l'issue des grand-messes paroissiales, bannies par le tambour major et précédées de la sonnerie de la cloche. Elles se tiennent tradi­tionnellement dans le prédicatoire des Révérends Pères Dominicains,

et l'Assemblée Générale, en sus des élections, vote le budget, examine les comptes du Miseur et décide de toutes les questions d'intérêt général.

Macé de Lépinay, Maire élu le 20 janvier 1776, est un excellent homme, doux et modéré. Il trouve sa fonction bien lourde et deman­dera plus tard à en être déchargé, vu son peu de fortune, l'impossibi­lité de recevoir d'Amérique une grande partie de ses revenus, et la nécessité d'élever sa nombreuse famille. Il éprouve de nombreuses difficultés à maintenir la paix dans sa ville et à éviter troubles et désordres.

En effet, complémentaires au départ, les deux assemblées sont devenues opposées. La Communauté a, depuis la dernière réforme en 1748, renforcé considérablement ses pouvoirs, au point de former une oligarchie bourgeoise et même de se déclarer inamovible :1'Assem­blée Générale n'a, plus à élire d'assesseur qu'en cas de vacance par décès ou démission. La Communauté est chargée de désigner les direc­teurs et économes de l'hôpital : où en trouver de meilleurs qu'en son sein? Les membres de la Communauté se sont même attribué le droit de nommer les prévosts du Papegault ! Bref, la ville est leur chose, mais ils en usent en grands seigneurs : en 1770, pour remédier à la rareté et,à la cherté des grains, les membres de la Communauté en achetèrent à leurs frais, avec l'aide des représentants de la noblesse, des recteurs des deux paroisses et des habitants les plus riches, pour le revendre à prix coûtant. Cette action leur valut de vives félicita­tions de l'Intendant de Bretagne : « J'ai proposé pour exemple à plus d'une Communauté la conduite que vous avez tenue... On ne peut assez applaudir à une conduite aussi désintéressée. »

 

L'un des chefs de file de la Communauté est Coupé de La Fouge­rais. Il participa plusieurs fois comme député de Dinan, ou agrégé, aux États de Bretagne et figura dans l'opposition. Faisant partie de la liste des trois sujets proposés par la communauté pour l'élection de maire en 1773, l'Intendant écrivit au Duc de Penthièvre, Gouver­neur de la Province « Coupé ne s'est pas comporté convenablement aux Assemblées des États » et il demanda une nouvelle délibération. La Communauté maintint sa liste, en vantant les mérites de ses candi­dats. L'Intendant rendit compte à son Ministre, le Duc de Vrillières, et par ordonnance de Sa Majesté du 21 janvier 1774, le sieur Gagon fut nommé d'office Maire.

Un des premiers adversaires de la Communauté fut un ancien Maire, Martel de Boistison, qui tint contre elle des propos jugés inju­rieux et calomnieux. Son sort fut vite réglé • bien que, sortant de charge, il fût membre de droit et inamovible de la Communauté, une délibération du 6 juillet 1771 le raya purement et simplement de la liste ! Il ne fut réintégré qu'en 1782 à la demande expresse de l'Intendant.

Il y eut d'autres réclamations. Mais toutes les plaintes étaient rejetées par l'Intendant, sur les rapports de son subdélégué local, Sam­son du Gage, rapports entièrement favorables à la communauté dont il faisait partie en qualité d'assesseur !

 

Amovibles ou inamovibles ?

 

Cependant le nombre d'adversaires augmentait. Les hommes de loi, les petits bourgeois et autres notables étaient hostiles au principe de l'inamovibilité dont le résultat était de les exclure de la Commu­nauté. Les propriétaires se demandaient ce que devenaient les taxes et impôts qu'ils payaient et pensaient les finances mal gérées. On disait aussi que l'hôpital avait périclité. Il se constitua donc un groupe de trente-et-un habitants qui résolut de réduire les pouvoirs de la Commu­nauté, de rétablir la constitution primitive de la ville et de rendre à l'Assemblée Générale ses anciennes attributions. La plupart de ces Trente-et-Un étant officiers de la milice bourgeoise, ils se réunirent avec la permission du Commandant militaire de la Place, M, de Maux, qui ne s'inquiéta guère de l'objet de ces réunions. Ils allèrent de mai­son en auberge, et d'auberge en maison, pour recruter des adhérents, et tinrent même des réunions « de nuit chez le sieur Débrecey qui n'est pas originaire de la ville, ni même de la province ». Et le 12 janvier 1776 l'orage éclate.

Ce jour-là, Malo Jutaux, premier huissier en la Cour et Séné­chaussée Royale de Dinan, demeurant rue du Jerzual, fait sommation à la Communauté, au nom des Trente-et-Un, d'avoir à .convoquer

l'Assemblée Générale pour procéder au renouvellement des assesseurs et à l'élection des directeurs et économes de l'hôpital. Selon la consti­tution, cette réunion devait être tenue le 20 janvier, fête de la Saint­ Sébastien. Abasourdie par cette attaque, la Communauté cherche à se retrancher derrière l'Intendant, Gaspard Louis Caze de La Bove, mais celui-ci engage le Maire à satisfaire à la sommation.

De leur côté, les Trente-et-Un, qui avaient déjà consulté huit avo­cats à Rennes, demandent au Parlement de Bretagne de rendre un arrêt confirmant les droits de l'Assemblée Générale. La réunion de l'Assemblée Générale a lieu le 20 janvier 1776. Macé de Lépinay est élu Maire en remplacement de Gagon. Puis Gabriel Debrecey, au nom des Trente-et-Un, réclame justifications et preuves des droits invo­qués par la Communauté. Le Maire donne lecture d'un long mémoire en réponse à la sommation « incivile et déplacée » des Trente-et-Un, formée dans un « esprit de cabale ». Puis, craignant d'être mis en minorité, il fait surseoir à l'élection d'un assesseur pour remplacer Lohier de la Ville Hatte, décédé, et clot la séance.

La Communauté « animée du désir le plus vif et dont elle ne s'est jamais écartée d'entretenir la paix et l'union qui doivent effecti­vement régner entre tous les concitoyens, mais à quoi, malheureuse­ment, les Trente-et-Un habitants et leurs adhérents paraissent vouloir mettre des entraves » adresse à l'Intendant un mémoire détaillé des événements et demande la conduite à tenir. M, de La Bove fait rap­port à Malesherbes reprenant tous les griefs de la Communauté, et, puisqu'une réorganisation générale de toutes les municipalités de Bre­tagne est en préparation et doit entrer en vigueur sous peu, il sollicite du Conseil d'État un arrêt maintenant provisoirement l'inamovibilité de tous les membres de la Communauté.

Cet arrêt est rendu le 5 mai 1776 et doit être enregistré par la Communauté, ce qui ne fait aucune difficulté, bien évidemment, mais aussi par l'Assemblée Générale qui est convoquée à cet effet le 21 mai. Lors de cette réunion, le Maire déclare que « la Communauté a vu avec une vive douleur s'élever des contestations et se former un germe de dissension entre le Corps de Ville et une partie des citoyens, que le voeu unanime de la Communauté et de chaque membre en particulier est de voir renaître la paix et la tranquillité, et que dans tous les temps ils saisiront avec empressement les moyens de l'établir et de l'entretenir ».

L'assemblée Générale ne peut refuser l'enregistrement, mais malgré la déclaration du Maire, demande à l'assortir des,plus expresses réserves. Le procès-verbal rédigé par la Communauté n'en faisant Pas mention, une protestation est déposée chez le Sénéchal, mais la Communauté avait gagné la première manche!

 

 

Les problèmes de voirie sont éternels !

 

Les Trente-et-Un décident alors de changer de terrain, et lancent un pavé contre la Communauté, ou plutôt des pavés, et quels pavés

En 1762, la Communauté avait décidé la réparation des pavés de la ville, et avait été autorisée par le Conseil d'État à taxer les pro­priétaires à cet effet. L'adjudicataire, un sieur de la Noë Méré, fit banqueroute deux ans après et ne termina pas les travaux qui étaient prévus s'échelonner jusqu'en 1771. Les propriétaires réclamaient à la Communauté la restitution des taxes payées par eux et non employées puisque le travail était resté inachevé, et de très nombreuses réunions avaient lieu à ce sujet. La Communauté se décida donc à faire faire par l'ingénieur Dorotté un programme de travaux et convoqua l'Assem­blée Générale pour le lui soumettre.

On constitua une commission. Sur les six membres désignés par l'Assemblée, cinq faisaient partie des Trente-et-Un, et parmi ceux-ci Maître Auguste Denoual des Mettries, notaire royal et procureur en la Sénéchaussée de Dinan, né à Dinan le 9 octobre 1744, demeurant à Dinan, place du Marchix, paroisse Saint-Sauvéur. La commission calcula qu'il restait dû aux propriétaires 5 542 livres 12 sols et 4 deniers, et modifia un peu le plan Dorotté. Mais les commissaires désignés par l'Assemblée Générale refusèrent de signer le procès-verbal sans retourner devant leurs mandants. Naturellement, la Communauté conteste cette prétention.

Les Trente-et-Un obtiennent donc un arrêt du Parlement, en vertu duquel une ordonnance du Lieutenant Général de Police autorise une réunion extraordinaire de l'Assemblée Générale, qui sera présidée par le Sénéchal Jean Denoual du Plessix le mardi 30 juillet à huit heures en l'auditoire royal. Le Maire apprend cette réunion par la bannie qui en est faite le dimanche 28 à l'issue de la grand-messe de sa paroisse. Il réunit en hâte la Communauté qui décide d'y envoyer des délégués. Malgré leur opposition, les séances se déroulent normalement, et fort courtoisement : « N'en déplaise à Monsieur le Maire, il permettra qu'on lui dise que sa mémoire est bien ingrate, si elle ne lui rappelle pas qu'on l'avait plusieurs fois prié de convoquer l'Assemblée Générale, car la vérité est telle », dit l'un des orateurs !

Des décisions sont prises tant sur le remboursement des taxes que sur l'exécution des travaux à faire, mais dès le 31 juillet 1776, une partie des Trente-et-Un revient sur la question de l'inamovibilité et propose d'adresser au Roi des remontrances pour demander le retrait de l'arrêt du conseil du 5 mai. Ils proposent aussi de demander aux États de Bretagne que la répartition des impôts soit confiée à l'Assem­blée Générale, comme à Rennes. La plus grande partie des proprié­taires n'avait aucune ambition d'entrer à la Communauté et n'était, par conséquent, absolument pas intéressée par le débat sur l'inamovi­bilité. Mais elle était très attentive à la restitution des taxes et à la répartition des impôts et n'hésitait pas à soupçonner l'honnêteté de la Communauté, dont les membres se faisaient même injurier lorsqu'ils passaient dans les rues.

L'excitation était à son comble : une partie considérable des pavés du Jerzual ayant été dégradée par une forte pluie dans la nuit du 15 au 16 août, au point d'empêcher le passage, les habitants voisins se répandirent tout le jour en invectives contre les ouvriers envoyés par le Maire pour la réparation.

Dénonçant l'esprit de sédition inspiré à la populace par les Trente­et-Un, le malheureux Macé de Lépinay écrivait à l'intendant : « La modération et la douceur que tous les membres de la Communauté continueront de mettre en opposition à leurs procédés ne sont pas susceptibles de ralentir l'ardeur qui les anime. » Dans un mémoire, la Communauté détaille les noms des 144 « gens de peu » qui ont assisté aux réunions et signé le procès-verbal, pour démontrer qu'il ne s'agissait ni d'une assemblée des propriétaires de pavés tai d'une Assemblée Générale des habitants. Elle dénonçait également la manoeuvre des Trente-et-Un pour lesquels la réunion pour les pavés n'avait été qu'un voile spécieux pour reprendre le débat sur l'inamo­vibilité et sur la répartition des impôts. Ce dernier point, surtout, était redouté : si les Trente-et-Un forment un recours, il est probable qu'ils y glisseront quelques personnalités.

Mais cette fois, l'Intendant ne soutenait plus la Communauté. Les Trente-et-Un, encouragés par cette attitude, ne cessaient de har­celer la Communauté. C'est ainsi qu'à la procession du vaeu de Louis XIII, le 15 août, deux marguilliers de la paroisse Saint-Sauveur, membres des Trente-et-Un, réclament la préséance. Ils veulent marcher devant la Communauté, immédiatement après le clergé. L'auteur du Lutrin dut se retourner d'aise dans sa tombe !

Et la répartition des taxes et impôts?

 

L'escalade se poursuivait. Les membres de la Communauté s'étaient peu à peu attribué des privilèges exceptionnels, s'exemptant notamment de l'impôt de casernement, de la fourniture des lits aux casernes, du logement des gens de guerre : donnant de leur temps au bien public, ils n'entendaient pas donner aussi de leur argent

Au nom des Trente-et-Un, Maître Denoual présenta requête aux États de Bretagne pour dépouiller la Communauté de la répartition des impositions, en raison c de l'injustice énorme qui règne dans cette répartition, par la faveur que la Communauté de Ville a communé­ment pour ses membres et pour leurs parents ». Maître Denoual ajoute que « ses collègues et lui ont fait leur travail avec la plus grande modé­ration, et sans autres personnalités que celles absolument nécessaires pour la comparaison des impositions ». Le 5 décembre 1776, les États de Bretagne, malgré la défense présentée par Maté de Lépinay, désignent trois membres du bureau de l'évêché de Saint-Malo pour se rendre à Dinan tenter une conciliation.

Mais auparavant, par arrêt du 13 novembre 1776, adoptant les motifs des délégués de l'Assemblée Générale, les États de Bretagne ont chargé leurs Députés à la Cour « d'intervenir et de se joindre aux très humbles et très respectueuses représentations que l'Assem­blée Générale des habitants de Dinan se propose de faire à Sa Majesté pour obtenir le rapport de l'arrêt de son Conseil d'État du 5 mai dernier » accordant l'inamovibilité aux membres de la Communauté.

Maître Denoual est député par les Trente-et-Un pour aller à Rennes retirer cet arrêt des États, afin de l'envoyer ensuite à l'Avocat aux Conseils, et il part à cheval le dimanche 22 décembre 1776.

La journée du 24 décembre 1776

 

Le mardi 24 décembre, Denoual se met en route pour revenir à Dinan, malgré la pluie continuelle et la grêle. Il arrive vers onze heures du matin au bourg de la paroisse de la Chapelle-Chaussée, qui se trouve sensiblement à mi-route, et s'arrête pour se restaurer à l'auberge de l'Écu de France, tenue par Jean Geffroy.

En cette fin de matinée de la veille de Noël, tout est calme et paisible dans cette petite agglomération. En son presbytère, le recteur, messire François Le Pelletier, repose un livre de prières et réfléchit quelques instants au sermon qu'il prononcera à la messe de minuit. Le sergent Louis Guérin vient de reprendre sa monture chez Yves Rouzé, le maréchal, et s'éloigne vers un hameau où il a affaire, tandis que l'artisan remet sa forge en ordre, range ses outils et donne un coup de balai. Plus loin, en direction de Dinan, Pierre Bouget, le marguillier, qui se rend au cimetière, s'arrête un moment à converser avec Guillaume Lebrun, le domestique de l'auberge, occupé à fagoter dans un champ près du chemin.

Il est environ un quart d'heure après midi. A !'Écu de France, l'ancêtre Jean Geffroy est assis sur l'un des bancs de foyer de la che­minée. Sur l'autre banc, lui faisant face, Charles Verdys, le pâtour, qui n'a pu sortir les bêtes en raison d'un mauvais temps, avale son frugal repas sur le pouce, comme s'il était aux prés. A la grande table commune, Claude Aubert, dit Malo, un marchand blatier installé à Romillé, fait preuve d'un solide appétit tout en s'entretenant des affaires de son commerce avec Maître Denoual qui, debout devant la grande cheminée, revêtu de sa redingote, l'épée au côté dans son fourreau, le fouet à la main, prend une provision de chaleur avant de repartir les quantités de grain qu'il a achetées, les clients qu'il a visités, les prix des denrées, la prochaine récolte compromise par les pluies continuelles...

Un fils de l'aubergiste, René Geffroy, apporte une énorme bûche pour la veillée de Noël, et s'arrête pour prendre part à la conversation qui continue sur les grands sujets d'actualité : la suppression de la corvée, l'indépendance des colonies américaines, la venue à Paris de Benjamin Franklin... Son épouse Jeanne Jagoret, aidée de sa jeune sueur Sainte Jagoret, s'active à la cuisine, débarrassant le couvert de Denoual et servant Claude Aubert. Elle surveille les marmites, car il y aura probablement d'autres clients. D'ailleurs on entend sur le chemin des chevaux arriver au petit trot et pénétrer dans la cour de l'auberge. Par une petite fenêtre, Jeanne voit deux cavaliers mettre pied à terre et s'avancer vers l'écurie à la porte de laquelle Jean Geffroy, un autre fils de l'aubergiste, se tient pour prendre les rênes.

Peu après, l'un des cavaliers entre dans la salle par la porte de la cour : c'est Coupé de La Fougerais. Il donne le salut qui lui est rendu par tous. Puis il s'avance aussitôt vers Denoual et lui donne un coup de main sur le bras, en disant : « Je suis charmé, Monsieur, de vous trouver ici. J'ai deux mots à vous dire. Voudriez-vous bien venir avec moi dans la cour ? » Pensant à quelque communication confidentielle, « Volontiers, Monsieur  réplique Denoual qui le suit dans la cour jusqu'à la porte de l'écurie où se trouve le second cavalier, le domestique de Coupé, portant à son côté l'épée de son maître.

Sans qu'il y ait eu un seul mot de prononcé de part ni d'autre, Coupé tire vivement l'épée de son fourreau et s'avance vers Denoual en criant :

« Allons vite, allons donc, l'épée à la main ! » En un éclair, le malheureux  Denoual pense aussitôt à la rigueur des ordonnances

 

Dessin de la façade sud du château de la Chapelle-Chaussée, par Michel Bohuon. (Coll. de l'artiste.)

réprimant les duels. Il pense aussi que le domestique de Coupé est présent, prêt à appuyer et secourir son maître en cas de besoin. Peut-­être pense t'il encore que, s'il est plus jeune que Coupé de près de vingt ans, il est aussi plus petit, n'ayant que quatre pieds six pouces, alors que Coupé est un gros homme de cinq pieds trois à quatre pouces, et que ce dernier est sans doute meilleur escrimeur que lui... Il répond donc prudemment : « Je n'ai aucun motif de me battre avec vous.

Cette réponse ne calme pas le sieur de La Fougerais, qui continue à provoquer Denoual par la pointe de son épée et à le presser de telle façon que, l'eût-il voulu, Denoual ne pourrait se débarrasser des deux redingotes dont il est couvert, ni même dégainer. Il n'a donc d'autre expédient pour conserver la vie que de parer les coups d'épée avec la main gauche et d'assener un coup du manche de son fouet sur la tête de Coupé qui tombe à terre. Loin de profiter de cet avantage, Denoual rentre à l'auberge.

Coupé n'est pas animé du même esprit. Sitôt relevé, il se précipite dans l'auberge, puis n'y trouvant pas son adversaire, il ressort par la grande porte dans le grand chemin de Rennes à Dinan. En effet Jean Geffroy avait fait passer Denoual dans une salle à côté de la cuisine, mais ensuite il le pria instamment de sortir et lui conseilla de s'évader en traversant l'écurie, puis la grande cour du château, et de gagner le grand chemin par le portail de celui-ci. S'en apercevant, Coupé court précipitamment, l'épée nue à la main, vers la cour de l'auberge, en répétant : « Je vais t'apprendre, mon coquin, à porter des plaintes aux États! » il poursuit donc Denoual dans l'écurie, la cour du château et le long du grand chemin jusque vis-à-vis le cimetière paroissial, soit sur une distance d'un quart de lieue. Là, il abandonne sa poursuite, plutôt par lassitude que par changement d'idée, en déclarant à Denoual « qu'il le trouverait ailleurs et qu'il lui apprendrait à porter des plaintes aux États contre !a Communauté ».

Denoual enfourche sa monture qui lui est amenée par le garçon d'écurie. Gageons que ce cheval ne fut guère ménagé sur le chemin du retour qu'il effectua sans doute dans un temps record. Chemin faisant, Denoual médite sur les événements qu'il vient de vivre. Compte tenu de ses relations passées avec Coupé et des paroles prononcées par celui-ci dans sa furie, il lui paraît vite évident que l'animosité et la haine implacable du sieur de La Fougerais s'adressaient non à lui, mais au chargé de mission de l'Assemblée Générale. En cas d'impunité d'un pareil attentat, celui-ci pourrait être poursuivi soit par le sieur de La Fougerais, soit par tout autre membre de la Communauté, et Denoual a tout intérêt à se placer sous la protection de la justice.

Le procès

En conséquence, dès le 26 décembre, il adresse une plainte détail­lée aux Juges Royaux de Hédé, compétents territorialement, et demande de poursuivre ce crime, qui ne peut être caractérisé que d'appel à duel, quoique l'exécution se fit bornée à des tentatives sans suite.

Il choisit pour procureur François Robiou qui semble particulièrement diligent et expérimenté. En effet, après avoir obtenu le 18 décembre un permis d'informer au petit criminel pour injures, il fait faire par les soins de Pierre Deslandes, huissier audiencier au siège royal, sommation à quatorze témoins de se présenter les 30 et 31 décembre suivants. Les événements du 24 étant encore tout frais, les témoignages seront meilleurs. Il faut dire aussi que le rôle criminel de Hédé n'était pas surchargé : deux affaires par an en moyenne

Sont convoqués : Jean Geffroy, aubergiste, 65 ans, René Gef­froy, aubergiste, 28 ans, Jeanne Jagoret, épouse de René Geffroy, 27 ans, Sainte Jagoret, cuisinière, 18 ans, Jean Geffroy fils, garçon d'écurie, 19 ans, Guillaume Lebrun, domestique pour le labourage, 30 ans, Charles Verdys, gardien de bestiaux, 16 ans, Claude Aubert, marchand blatier, 24 ans, Pierre Pelletier, compagnon corroyeur, 22 ans, Yves Rouzé, maréchal, 42 ans, Pierre Bouget, marguillier, 56 ans, messire Français Lepelletier, recteur de la paroisse, 47 ans, Louis Guérin, sergent de plusieurs juridictions, 32 ans. Le quator­zième témoin, François Ginguené, demeurant au bourg d'Évran, Receveur des Devoirs, ne se présentera pas. La dame Ginguené a répondu à l'huissier que son mari était absent depuis huit jours et qu'elle ne savait quand il serait de retour.

Les treize autres témoins se présentent donc devant le Sénéchal, assisté de son greffier, et prêtent serment d'être « purgé de conseils, sollicitations et autres causes de faveur » et déclarent ne pas être « parent, tenu, allié, obligé, créancier, serviteur ni domestique » des sieurs Denoual ou Coupé.

Les aubergistes et leur personnel, ainsi que Aubert, connaissent les deux parties qui avaient l'habitude de faire halte à l'Écu de France, lors de leurs voyages à Rennes. Le marguillier et le corroyeur ne connaissent que Coupé, sans doute en raison de son action politique. Par contre le sergent ne connaît que Denoual avec qui il a eu des rapports professionnels. Enfin le recteur et le maréchal ne connaissent ni l'un ni l'autre.

Le recteur et le sergent ne sont pas témoins oculaires et rapportent seulement ce qu'ils ont entendu dire. Louis Guérin était à l'auberge le matin, mais il était parti avant l'altercation. Lorsqu'il est repassé le soir, tous se sont précipités vers lui : « Ah ! Si vous étiez resté plus longtemps ce matin... » Au contraire Pierre Peltier n'est entré à l'auberge que vers une heure de l'après-midi, et Coupé lui fit voir la trace du coup de fouet qu'il dit lui avoir été donné par Denoual. Peltier vit effectivement « un endroit rouge sur la figure ».

 

Tous les autres témoins, chacun de l'endroit où il se trouvait, dans la cour, la salle ou le chemin, ont vu une partie des faits, et confirment unaniment le récit de Denoual. Si ceux qui étaient dans la salle à l'entrée de Coupé ne sont pas sortis dans la cour et n'ont pas vu ce qui s'y passait, presque tous se sont précipités à ta porte de l'auberge pour assister à la poursuite dans le grand chemin. Certains témoins ajoutent des détails. D'après René Geffroy, Coupé demanda au garçon d'écurie, en arrivant, s'il n'y avait personne de Dinan à l'auberge. Jean Geoffroy, le garçon d'écurie, vit parfaitement la scène de la cour : il confirme que Coupé ne donnait pas le temps à Denoual de tirer son épée. Pour lui, si Coupé est tombé, ce n'est pas à cause du coup de fouet qui l'aurait étourdi, mais à cause d'une marre d'eau dans laquelle il a trébuché. Son domestique n'est sorti de l'écurie que pour le relever.

Le vieux père Jean Geffroy, voyant Denoual rentrer en courant dans la salle, et Coupé courir aussi après lui, l'épée nue à la main, arrêta ce dernier entre ses bras, lui disant : « Monsieur, il ne faut pas être si téméraire! » Mais Coupé lui parut si furieux qu'il l'abandonna et le vit continuer de courir après Denoual, toujours l'épée à la main. Yves Rouzé entendit Coupé crier en poursuivant Denoual

Bougre de gueux, bougre de capon ! » et Aubert : « Je t'apprendrai à vivre ».

Six témoins sur treize, Sainte Jagoret, Guillaume Lebrun, Claude Aubert, Charles Verdys, Pierre Bouget et Yves Rouzé, soit près de la moitié, déclarent ne savoir signer.

 

Récit de Coupé de La Fougerais

 

Considérant ces témoignages nombreux, précis et concordants, Maître Sébastien Augustin de La Marre, Avocat au Parlement, substitut du Procureur du Roi en la Sénéchaussée et Siège Royal de Hédé, conclut qu'il y a lieu d'entendre l'accusé. Maître Deslandes, huissier, vient à Dinan le 5 janvier 1777, et, en l'absence de Coupé, remet la sommation à une servante, Françoise Cuttée. Dans les mêmes temps, Coupé présente lui-même requête d'être interrogé. Cette comparution a donc lieu le 13 janvier 1777, et, comme on peut s'y attendre, le récit de Coupé diffère sensiblement de celui de Denoual

«  Parti de Rennes le 24 décembre 1776, d sept heures du matin, j'arrivai vers midi d !'auberge de !'Écu, au bourg de la Chapelle Chaus­sée. Je descendis de cheval à la porte de l'écurie. Je chargeai mon domestique de donner de l'avoine aux chevaux et lui laissai ma canne et mon épée.

« En entrant dans !a cuisine, je saluai honnêtement et reconnus plusieurs personnes à la cheminée, du nombre desquelles était Maître Denoual. J'allai vers celui-ci et lui dis poliment que je désirais lui parler. A peine sorti dans la cour, à environ dix pas de la porte, Denoual me fit une réponse déplacée et outrageante, accompagnée de menaces. Voulant me mettre à l'abri, j'allai prendre mon épée au côté de mon domestique, et je revins vers Maître Denoual, l'épée à la  main, il est vrai. Je fis observer à mon interlocuteur qu'au lieu de proférer des menaces, il eut du mettre l'épée à la main. Sur son refus, nous restâmes vis-à-vis pendant au moins deux minutes. Puis je touchai Denoual sur le bras, on ne peut plus légèrement, du plat de  mon épée, sans fil ni tranchant. A ce moment je glissai et Denoual, se lançant sur moi, me porta de toute sa force un coup de pied de fouet sur le milieu de la tête et le front si violemment que j'en perdis entièrement connaissance. Je tombai le genou gauche sur mon épée, de telle sorte que le manche et la garde en furent faussés et la lame recourbée. Revenant de mon évanouissement, je me relevai, repris mon épée, et, sous !'effet de la sensibilité du coup, de la douleur que j'en ressentais et du premier mouvement, je suivis Denoual qui rentrant dans la cuisine de /'auberge et, après !'avoir traversée, sortait dans le grand chemin, pénétrait dans la cour de l'auberge, de là dans l'écurie, puis dans la cour du château, ressortait à nouveau dans !e grand chemin et allait jusqu'au cimetière. Je m'arrêtai à la porte de l'auberge, où étaient trois à quatre personnes, et j'entendis Denoual dire : « Je vous prends à témoin que monsieur de La Fougerais me suit l'épée à la main. »  Je reconnais que Denoual avait toujours l'épée au côté. Les seules paroles prononcées par moi contre Denoual furent de lui faire remarquer qu'il venait de commettre contre moi une action bien lâche.

« Je ressentis alors les plus vives douleurs du coup que j'avais reçu à la tête et au front, ainsi que des meurtrissures au genou gauche.

je fis constater aux gens de l'auberge une bosse au front, près !a racine des cheveux, de la grosseur d'un aeuf sur une longueur de près

quatre pouces.

« Le sieur Ginguené, Receveur des Devoirs à Évran, arriva d l'auberge et raconta qu'il venait de rencontrer Denoua/ de l'autre côté du bourg, et que celui-ci, après lui avoir rapporté les faits, avait annoncé son intention d'intenter un procès à son adversaire. Je fis donc, à mon tour, un récit détaillé à Ginguené devant l'hôte, l'hôtesse, le valet d'écurie et !a servante. Je leur demandai si tous ces faits n'étaient pas exacts, à quoi ils répondirent qu'ils étaient tous vrais, et je !es engageai à !es déclarer avec vérité, lorsqu'ils seraient appelés à déposer.

Un quart d'heure plus tard, arrivèrent de Rennes les sieurs Provost de La Touraudais qui dînèrent avec moi. Parti à environ trois heures de l'après-midi, j'arrivai à Dinan vers huit heures du soir.

Je continuai à ressentir de violentes douleurs et j'avais de !a peine à marcher, mon genou étant enflé et entièrement meurtri ainsi que /a jambe; je n'en suis d'ailleurs pas encore remis. Je consultai mon médecin, !e sieur Delaunay, qui me conseilla de me faire saigner, ce que je fis exécuter le jour même par le ministère du sieur Lemercier, chirurgien. Pendant plus de huit jours, je ne pus sortir de chez moi, pas même pour aller à la messe, par l'effet des douleurs que je ressentais tant à la tête qu'au genou, douleurs qui continuent encore. »

 

Pressé de questions par le Sénéchal, Coupé répond qu'il n'a pas voulu forcer Denoual à se battre avec lui à l'épée, et qu'il n'a pris la sienne que pour se défendre, qu'il est bien vrai qu'il avait mis l'épée à la main et que Denoual n'a pas voulu tirer la sienne, mais lui a donné un coup de fouet. Interrogé s'il n'a pas poursuivi Denoual, vivement, l'épée à la main, Coupé déclare l'avoir seulement suivi, ainsi qu'il vient de le dire. Il ne se souvient pas avoir injurié Denoual, dans le grand chemin, en proférant notamment les mots « bougre de coquin » mais avoir simplement dit qu'il venait de commettre une action bien lâche.

Après lecture et seconde lecture, à lui faites, Coupé déclare que ses réponses sont véritables, et qu'il y persiste, sans vouloir augmen­ter ni diminuer. Il ajoute cependant qu'il a appris les jours derniers à Dinan que si Denoual n'avait pas achevé de l'assommer, c'était uniquement pour avoir le plaisir de lui faire un procès.

La procédure s'arrête là, et nous laissons au lecteur le soin de rendre son jugement en son âme et conscience. En effet, nous n'avons pu retrouver cette pièce dans les archives de la juridiction d'Hédé.

 

Épilogue de l'affaire des Trente-et-Un

Par contre la suite politique de cette affaire est connue. Les trois notables désignés par les États de Bretagne le 5 décembre 1776, l'abbé de La Grésillonnais, le chevalier de La Touraudais et le sieur Lebreton, un de chaque ordre, passèrent six semaines à Dinan au cours du deuxième trimestre 1777. S'ils ne réussirent pas à obtenir un accord, du moins préparèrent-ils le terrain :inamovibilité maintenue, mais seulement pour les anciens maires, renouvellement de quatre assesseurs de la communauté par an, préséance des marguilliers, choix de deux directeurs de l'hôpital en dehors de la Communauté, telles furent les grandes lignes de l'arrêt du Conseil d'État du 25 septembre 1779, qui attribuait en outre au Gouverneur de la Province la nomination du Maire. En effet, en 1778, comme en 1773, la Communauté avait inscrit Coupé de La Fougerais parmi les trois personnes proposées pour le poste de Maire, et, pour les mêmes raisons, le Gouverneur avait suspendu les élections. Macé de Lépinay, qui, après ces années troublées, aspirait au repos, fut maintenu Maire malgré lui. Il fallut par la suite une nouvelle intervention des États de Bretagne pour rétablir le régime normal de l'élection du Maire.

En définitive, les Trente-et-Un remportaient la victoire. Les anciens membres de la Communauté se désintéressèrent, pour la plupart, des affaires municipales et cessèrent d'assister aux réunions. C'est au point qu'en 1781, le Maire Porcon de La Barbinais interroge l'Intendant pour savoir si la Communauté peut valablement délibérer avec neuf membres présents sur vingt-quatre. La même année, et la suivante, l'Assemblée Générale fait établir la liste des membres de la Communauté absents des réunions sans motif, afin, éventuellement, de faire muté absents des réunions sans motif, afin, éventuellement, de faire prononcer contre eux l'amende de dix livres prévue par les ordonnances.

Les notables de Dinan avaient acquis, par cette lutte contre les privilèges, la maturité politique. Aussi l'Assemblée Générale, conjointement avec celles des grandes villes de Bretagne, supplie-t-elle Sa Majesté, lors d'une réunion extraordinaire tenue le 21 novembre 1788, d'ordonner « que les députés de l'ordre du Tiers de cette Province  tant aux États Généraux qu'aux États particuliers de la Province, soient en nombre égal à celui des députés réunis des ordres du Clergé et de la Noblesse ». Alors que la rédaction des cahiers de doléances n'a été prévue que par le règlement du 24 janvier 1789, elle émet, lors de la même réunion, une douzaine d'autres revendications, et invite son Député aux États de Bretagne à se trouver au lieu désigné, hui­taine avant l'ouverture, pour concourir à la rédaction d'un mémoire commun.

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M. Antoine Dupuy écrit dans son étude sur les Trente-et-Un

« Ce fut comme une révolution démocratique opérée dans cette ville. » Révolution oui, mais il s'en fallut de peu qu'il n'y ait eu effusion de sang ! Cet épisode des Trente-et-Un montre l'état d'esprit des Dinan­nais, il y a deux siècles, à la veille de la Révolution française.

 

François Aubry.

SOURCES.

Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : C 484 et suivants. 3 Bc 442. Archives de la ville de Dinan : registres de la Communauté de la ville. Archives familiales.

BIBLIOGRAPHIE.

Duc de Castries Histoire de France des origines à 1970, Paris, Éditions Robert Laffont 1971. E. Durtelle de Saint-Sauveur, Histoire de la Bretagne des origines à nos jours, Paris, Librai­rie Académique Perrin et Armor éditeur, 1975. M.E. Monier, Dinan, mille ans d'histoire, Saint-Brieuc, Presses Bretonnes, 1968.

Antoine Dupuy, Les Trente-et-Un, Mémoires de !a Société Archéologique d'llle-et-Villaine, 1883, tome XV1.

 

 Lien vers l'article d 'Antoine DUPUY  ( fichier pdf)